Stéphane HOEBEN
Consultant indépendant
en Éducation et Ressources Humaines – Mars 2023
Depuis 1997, j’ai compris pourquoi l’enseignement des homophones, tel qu’il est proposé traditionnellement pose des problèmes d’efficacité pour un grand nombre d’enfants. Ce modèle d’enseignement est ardu car il ne correspond pas au fonctionnement normal des individus.
Pourquoi « faire compliqué » quand on peut « faire simple » ?
Je vous propose 3 apports pour appuyer cette affirmation :
- un article reçu lors d’une formation des animateurs pédagogiques de la FédEFoc ;
- une réflexion basée sur la construction des concepts et le savoir conditionnel ;
- un tableau de procédures de mise en mémoire de l’orthographe.
1. Article : Que penser des exercices sur les « homophones » ? (1997)
À l’époque, j’ai bénéficié d’une série de formations avec Mme Charmeux et M. Leroy à propos de la didactique de la Langue Française. Voici un document :
QUE PENSER DES EXERCICES SUR LES « HOMOPHONES » ?
À l’exception de ceux qui concernent des mots effectivement substituables dans le contexte (par exemple, ses-ces), ils sont fondés sur des conceptions psycho-linguistiques hautement discutables.
- Ils méconnaissent la notion de système au profit d’un éparpillement de micro-unités non reliées entre elles: quel lien entre « c’est-ces », « la-l’a », « sont-son », etc. ? Où s’arrêter devant le nombre des homophones grammaticaux et lexicaux en français ?
- Ils s’opposent à l’automatisation (et à la vitesse nécessaire de notation graphique).
- Cela ne correspond pas à la façon de faire des experts. Ils introduisent une façon de faire inadéquate: quand il s’agit de noter des « images de mots », c’est l’image du mot qu’il faut directement évoquer. Quand il s’agit d’aller boire un verre, seule la graphie « verre » est évoquée dans ma mémoire et je ne me demande jamais si ce verre s’écrit d’une façon différente de celles des mots qui ont un signifiant oral semblable : vert, vers, ver, vers (sauf si l’école m’a obligé à le faire ou si je cherche, comme Devos, à jouer avec les mots).
- Ils entrainent de nombreux effets pervers. Comment expliquer que des élèves écrivent « s’est » au lieu de « ses », « à » au lieu de « a », « ont » au lieu de « on », « ça » au lieu de « sa », « sont » au lieu de « son », « er » au lieu de « é » sinon par un goût de la complication stimulé par le recours à la méthode des homophones ?
- Cette « méthode » a été rethéorisée à tort dans le cadre saussurien d’une théorie du signe mal comprise. Pour Saussure en effet, signifié et signifiant (oral ou graphique) sont indissociablement unis dans le signe (c’est-à-dire que quand j’entends ou lis « Je vais boire un verre », ce signifiant n’évoque que le seul signe verre.) Dire que l’homophonie correspond au cas de « un même signifiant pour plusieurs signifiés » est, du point de vue de la théorie linguistique de référence, une contre-vérité.
QUE FAIRE SI ON NE FAIT PAS D’EXERCICES SUR LES HOMOPHONES ?
Pour les homophones grammaticaux, la seule approche efficace à long terme nous parait l’identification de la catégorie du mot et la réflexion à l’intérieur de cette catégorie (démarche constructiviste partant de l’observation et de ce qui est déjà connu par l’élève).
Ainsi,
- l’orthographe de « sont » et « ont » s’explique : -nt est la terminaison du pluriel des formes verbales et « sont » et « ont » sont des formes verbales personnelles (méthode de la substitution: variation en temps) ;
- l’orthographe de tel ou tel infinitif en « -er » s’explique par le contexte syntaxique (après certains verbes comme aller, devoir, pouvoir… ou après une préposition, c’est un infinitif que l’on a ; l’élève francophone le sait d’ailleurs dans sa grammaire intuitive puisqu’il ne se trompe jamais à l’oral – d’où le procédé de la substitution) ;
- si on reconnait que « à » est une préposition, il suffit de savoir que la préposition « à » s’écrit avec un accent pour ne plus faire d’erreur (inutile d’évoquer le verbe « a ») ;
Pour les homophones lexicaux, il faut associer l’image du mot à son sens au lieu de l’associer d’abord (pour la distinguer ensuite) aux mots qui se prononcent de la même façon.
FOCEF Animateurs pédagogiques Ciney 1-2-3.12.97 (A. Leroy)
2. Une réflexion basée sur la construction des concepts et le savoir conditionnel (2004)
Plus tard, lors de mes formations avec Britt-Mari Barth, j’ai compris que la construction des savoirs s’appuyait tantôt sur la pensée généralisante et tantôt sur la pensée discriminante. Autrement dit, pour parvenir à mettre en mémoire un savoir, notre cerveau compare les informations pour « généraliser » à partir de points communs et « discriminer » à partir des différences. De ce fait, plus les informations sont semblables, plus il est difficile de discriminer et de mettre en mémoire.
Test n°1 :
Observez les 2 cases et nommez celle qui vous sera plus facile à mettre en mémoire pour reproduire.
Test n°2 :
Observez les 2 cases et nommez celle qui vous sera plus facile à mettre en mémoire pour reproduire.
Vous avez certainement nommé la case A.
En effet, tout le monde s’accorde à reconnaitre qu’il est + facile d’apprendre (mettre en mémoire pour se souvenir) des éléments différents que des éléments proches.
Quid des homophones ?
Ceux-ci sont identiques au niveau phonologique et proches au niveau orthographique. Le fait de les enseigner de la manière traditionnelle rend donc compliqué leur apprentissage alors qu’ils pourraient être mis en mémoire grâce à d’autres méthodologies que la confrontation.
3. Comment mettre en mémoire de l’orthographe ? (2014)
Dans l’ouvrage « Cool l’ortho – 6e primaire/1re et 2e secondaires – pages 66-67 » des éditions Atzéo, les auteurs proposent 11 stratégies pour mettre en mémoire de l’orthographe lexicale ou grammaticale. Elles reposent sur le sens, l’analogie ou la grammaire. Les auteurs ont choisi volontairement d’illustrer la majorité des stratégies… par des homophones ! Cela démontre explicitement que le fait de disséminer les savoirs (lexicaux ou grammaticaux ) et de les apprendre isolément constitue une débauche d’énergie.
CONCLUSION
Ah, si l’objectif premier des « pédagogues » ou des organisations qui gèrent l’enseignement était de tenir compte des processus d’apprentissage, alors l’approche des savoirs aurait une autre forme !